Le temps
continuait d’être doux. Le 13 décembre ils étaient presque arrivés à Shoshone et ils escaladaient encore les Rocheuses – pour eux, le point culminant qu’ils devraient atteindre avant de commencer à descendre serait le col Loveland.
À maintes et maintes reprises, ils entendirent le grondement sourd des avalanches, parfois très loin, parfois si près qu’il n’y avait rien d’autre à faire que de regarder et d’attendre, d’espérer que ces grandes nappes blanches de mort ne viendraient pas effacer le ciel. Le 12, l’une d’elles engloutit un endroit où ils étaient passés une demi-heure plus tôt, enterrant les traces de la motoneige sous des tonnes de neige compacte.
Stu craignait de plus en plus que les vibrations causées par le bruit du moteur ne finissent par les tuer en déclenchant une avalanche qui les enterrerait en moins de rien sous dix mètres de neige. Mais il n’y avait rien à faire, si ce n’est continuer et espérer.
Puis la température baissa et la menace se fit beaucoup moins présente. Il y eut une autre tempête de neige et ils durent s’arrêter deux jours. Ils finirent par sortir, reprirent leur route…
et les loups se mirent à hurler la nuit. Parfois ils étaient loin, parfois si près qu’ils semblaient juste derrière l’abri de plastique. Kojak bondissait alors sur ses pieds, grognait sourdement, tendu comme un ressort d’acier. Mais la température restait glaciale et la fréquence des avalanches diminua, ce qui ne les empêcha pas d’avoir une autre chaude alerte le 18.
Le 22 décembre, à la sortie d’Avon, Stu sortit de la route sans le vouloir. Un instant plus tôt, ils avançaient tranquillement à quinze kilomètre-heure projetant derrière eux des nuages de neige. Tom venait de lui montrer du doigt un petit village en contrebas, silencieux comme une photographie stéréoscopique des années 1880 avec son clocher blanc, ses congères immaculées qui montaient jusqu’aux toits. L’instant d’après, le capot de la motoneige basculait dans le vide.
– Bordel de…, commença Stu, mais il n’eut pas le temps d’en dire plus.
La motoneige piqua du nez. Stu coupa les gaz, mais trop tard. Il eut la curieuse impression de ne plus rien peser, comme lorsqu’on vient de quitter le plongeoir et que l’attraction de la gravité équilibre exactement l’élan vers le haut que vous vous êtes donné. Ils furent catapultés hors de la machine. Stu perdit de vue Tom et Kojak. La neige froide lui montait jusqu’au nez. Lorsqu’il ouvrit la bouche pour crier, elle s’engouffra dans sa gorge, se coula dans son dos. Et il tombait, il culbutait. Finalement il s’arrêta au milieu d’un épais édredon de neige.
Il remonta, ramant avec ses bras comme un nageur, crachant le feu de sa gorge brûlée par la neige.
– Tom ! hurla-t-il.
Curieusement, sous cet angle, il pouvait voir très clairement le remblai de la route et l’endroit où ils étaient sortis, provoquant une petite avalanche. L’arrière de la machine émergeait de la neige à une quinzaine de mètres en dessous de la route, comme une grosse bouée orange. Étrange comme ces images d’eau persistaient… mais justement, Tom était-il en train de se noyer ?
– Tom ! Tommy !
Kojak sortit de quelque part comme un diable de sa boîte, saupoudré de sucre glace de la proue à la poupe, fendant la neige pour rejoindre Stu.
– Kojak ! lui cria Stu.
Cherche Tom ! Cherche Tom !
Kojak aboya et pataugea dans la neige pour faire demi-tour. Puis il se dirigea vers un endroit où la neige avait été labourée et il aboya à nouveau. Ahanant, trébuchant, avalant de la neige à pleine bouche, Stu le rejoignit et se mit à chercher autour de lui. Sous son gant, il sentit l’anorak de Tom et commença à tirer furieusement. Tom remonta à la surface, hors d’haleine, et tous les deux tombèrent à la renverse sur la neige.
– Ma gorge ! Ça brûle !
Oh putain ! Putain, oui…
– C’est le froid, Tom. Ça va s’arranger.
– Je pouvais pas… respirer…
– C’est fini maintenant, Tom.
Tout ira bien.
Assis sur la neige, ils reprenaient leur souffle. Stu prit Tom par les épaules. Le pauvre tremblait comme une feuille. Plus loin, de plus en plus fort, puis diminuant à nouveau, le grondement froid d’une autre avalanche.